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Irne Tamba LĠukemi-passif en japonais: le mŽtissage dĠun concept grammatical

Travaux de linguistique contrastive franco-japonaise 1994 pp. 215-235

Texte (ŽvidŽ au ¤)

 

LĠUKEMI-PASSIF EN JAPONAIS:

LE MƒTISSAGE DĠUN CONCEPT GRAMMATICAL

Irne TAMBA

要旨

受動態(passif)は西洋諸語の文法観念であり、明治以前の日本語研究の中に明確に存在していた観念ではない。日本語の受け身という観念の基本はreceptifというべきものであり、それは「られる」という文法形式に深く結びついた考えである。本校ではreceptif という観念を検討し、それがいかにしてpassif と「混血」した文法観念として受け入れられpassif = receptifという等式を錯覚するに至ったかを論じる。

 

 

Introduction

¤1 A la question: Òla notion grammaticale de passif existe-t-elle en japonais ? les informateurs rŽpondent sans hŽsitation: ÒBien sžr, cĠest ce quĠon appelle ukemi.Ó. La consultation des dictionnaires bilingues confirme cette rŽponse : tous traduisent ukemi par passif et vice versa. Pourtant, en dŽpit dĠune telle unanimitŽ, qui, nous allons le voir, relve du trompe-lĠÏil de la traduction, cette Žquivalence est loin dĠaller de soi. Aussi nous proposons-nous dans le prŽsent article dĠexaminer de plus prs les rapports quĠentretiennent ces deux notions. Ce qui nous conduira, sinon ˆ rŽsoudre, du moins ˆ formuler les principales difficultŽs que soulvent la comparaison et lĠunification de concepts grammaticaux issus de langues et de traditions linguistiques diffŽrentes.

 

I. Approche terminologique : passif et ukemi

¤2 Examinons, pour commencer, quelques donnŽes terminologiques. En franais, lĠappellation courante est passif .Il sĠagit dĠun vocable rŽgulirement formŽ sur le patron des termes grammaticaux franais en –if., ˆ la fois adjectif et nom. En japonais, le terme consacrŽ est ukemi. [É] Par ailleurs, contrairement ˆ passif, le nom ukemi nĠentre dans aucune formation morphologique propre ˆ la terminologie grammaticale japonaise. CĠest en effet le seul exemple de terme ˆ finale en –mi.

¤3 Seconde diffŽrence : en franais, passif est obligatoirement liŽ ˆ son complŽmentaire actif par une relation dĠopposition privative. Ce qui implique, si lĠon suit Lyons (1978 :226), quĠactif ÒdŽnote une propriŽtŽ positiveÒ et passif lĠabsence de cette propriŽtŽ. Or, É [É] L'appariement de ces termes met plut™t en jeu une opposition Žquipollente, dŽfinie par J. Lyons comme "une relation dans laquelle chacun des lexmes en contraste dŽnote une propriŽtŽ positive, par exemple 'm‰le': 'femelle' " (1978: 226).

¤4 Le dŽcalage entre la structure oppositive du couple actif / passif et celle de sa contrepartie japonaise hatarakikake / u kemi retentit ds le dŽpart sur la traduction. [É] Cette hypothse est confortŽe par le fait que ju ne se retrouve ni dans la terminologie grammaticale corŽenne ni dans les traductions des linguistes chinois, o cĠest le caractre / / qui a ŽtŽ retenu pour indiquer le passif.

¤5 LĠopposition Žquipollente sur laquelle repose le couple hatarakikake / ukemi a Žgalement jouŽ un r™le dŽcisif dans lĠŽvolution ultŽrieure de la terminologie. [É] Pour enregistrer un tel dŽplacement terminologique, nous proposons de rŽserver le terme de passif  au membre du couple actif-passif et dĠappeler rŽceptif la notion autonome que les Japonais nomment ukemi.

¤6 Enfin, du fait quĠils ne reposent pas sur le mme type dĠopposition, les termes de passif et de rŽceptif- ukemi convoient des reprŽsentations sŽmantiques diffŽrentes, qui peuvent tre sources dĠŽquivoque dans le passage dĠune langue ˆ lĠautre. [É] Ainsi la rŽceptivitŽ renvoie-t-elle ˆ un comportement qui se situe, axiologiquement, aux antipodes de la passivitŽ, dans le sens occidental du terme, bien que rŽcepteur et patient aient en commun dĠtre tous deux en position de destinataire.

¤7 Il ressort de ce rapide survol que le terme de passif sĠest implantŽ au Japon au prix dĠun dŽdoublement. Soit il est rendu au moyen de dŽnominations sino-japonaises de facture savante :É.Soit il trouve un Žquivalent partiel dans le terme dĠukemi. Ce dernier sert en effet ˆ dŽsigner non seulement le paradigme verbal formŽ ˆ lĠaide du morphme – (r)are- mais aussi une des valeurs caractŽristiques de ce morphme qui co•ncide avec celle de passif.

¤8 Tant que ces deux systmes terminologiques restent cantonnŽs dans leur domaine dĠusage respectif, il nĠest pas gnant de passer de lĠun ˆ lĠautre. Mais les choses se compliquent ds que lĠon entreprend une Žtude contrastive ou typologique qui entra”ne des interfŽrences incontr™lŽes, entre ces deux terminologies.

 

II. Approche contrastive des catŽgories dĠukemi et de passif

II. 1. Les points de convergence entre la phrase passive type du franais et son Žquivalent japonais

¤9 ConsidŽrons les deux exemples suivants, souvent utilisŽs dans les grammaires pour illustrer la dŽfinition de la phrase passive :

1) un chat a poursuivi une souris

2) une souris a ŽtŽ poursuivie par un chat

1Ġ) neko ga nezumi wo oikaketa (koto) 1

chat PS souris PO a poursuivi (le fait que)

un chat a poursuivi une souris

2Ġ) nezumi ga neko ni oikakerareta (koto)

souris PS chat PAg a ŽtŽ poursuivi (le fait que)

une souris a ŽtŽ poursuivie par un chat

 

Afin de couper court aux critiques en porte-ˆ-faux 1 concernant le peu de naturel de ces phrases, on rappellera, au prŽalable, quĠil ne sĠagit pas dĠŽnoncŽs attestŽs ou attestables, mais dĠartefacts de grammairien, ŽlaborŽs en quelque sorte in vitro, dĠaprs un schŽma thŽorique de la phrase passive.

¤10 Si lĠon compare ces deux paires dÔexemples Ò idŽalisŽsÒ ˆ la lumire de la dŽfinition canonique de la phrase passive quĠils sont censŽs illustrer, on est frappŽ par lĠŽtonnante homologie de leur structure.

¤11 CĠest dĠabord la liaison systŽmatique dĠune phrase passive ˆ son corrŽlat actif que met en Žvidence, dans chaque langue, le couplage de deux ŽnoncŽs construits avec le mme matŽriau lexical et Žvoquant une mme ŽvŽnement: en lĠoccurrence, la poursuite dĠune souris par un chat.

¤12 En second lieu, lĠopposition entre une phrase passive et sa correspondante active, en japonais comme en franais, sur les trois mmes ensembles de propriŽtŽs morpho-syntaxiques : 1)É ;2)É ;3)É

¤13 La correspondance quĠon ne peut manquer de relever entre ces formulations conduit ˆ poser lĠexistence dĠune mme structure grammaticale, appelŽe passif en franais et ukemi en japonais. A ne considŽrer que ces paires dĠexemples, il appara”t donc tout ˆ fait lŽgitime de traduire passif par ukemi et vice versa, puisque les deux termes renvoient ˆ des constructions semblables dans chaque langue. Mais, ds que lĠon Žlargit le cadre de comparaison, on ne peut manquer de relever des discordances non moins indŽniables, entre passif et rŽceptif, ce qui remet en cause leur Žquivalence, sinon ponctuelle, du moins globale.

 

II. 2. Les points de divergence entre passif et rŽceptif

¤ 14 Pour la commoditŽ de lĠexposŽ, on distinguera deux groupes de divergences entre rŽceptif et passif. LĠun tient ˆ des interfŽrences entre les acceptions morphologiques et sŽmantiques du terme ukemi. LĠautre relve de la dŽfinition mme de passif et rŽceptif.

¤15 Le premier groupe de divergences est dž au glissement de la valeur dite ukemi (rŽceptif) ˆ la forme verbale en –(r)are – nommŽe ukemi. [É] DĠo la tendance ˆ assimiler la forme en V –(r)are – du japonais ˆ celle en tre + participe passŽ (dŽsormais V-Ž) de la voix passive du franais. Ce qui est doublement abusif, car on reconna”t ˆ ces formes dĠautres valeurs, spŽcifiques ˆ chacune dĠelle.

¤16 Commenons par la forme V (r)are. On lui attribue, en rgle gŽnŽrale, trois interprŽtations rŽgulires ˆ c™tŽ de celle de rŽceptif. Ce sont, pour mŽmoire :

I la valeur dite de jihatsu É quĠillustre la paire dĠexemples ci-dessous :

3) michi wo sugu omoidashita

[É]

jĠai aussit™t reconnu le chemin

3Ġ) michi ga sugu omoidasareta

 [É]

je me suis aussit™t souvenu du chemin

II la valeur dite de kan™ É

4) michi wo omoidasanai

[É]

je ne me souviens pas du chemin

4Ġ) michi ga omoidasarenai

[É]

je nĠarrive pas ˆ me rappeler le chemin

III la valeur dite de sonkei É

5) sensei ga shujutsu wo uketa

[É]

le professeur a subi une opŽration chirurgicale

5Ġ) sensei wa shujutsu wo ukeraremashita ka

[É]

Monsieur le Professeur avez-vous subi une opŽration chirurgicale ?

 

¤17 A priori il peut para”tre facile dĠŽviter les confusionsÉ[É]. C'est ainsi que Yoshida Kanehiko (1971 : 121-122) rŽsume la question en opposant deux hypothses concurrentes. La premire, qu'il rejette, est due ˆ Yamada Yoshio(1873-1958) É La seconde que Yoshida adopte, remonte ˆ Hashimoto Shinkichi (1882-1945) [É]. On ne saurait donc traiter ˆ part la valeur de rŽceptif, en la sŽparant arbitrairement de lĠensemble des interprŽtations attachŽes ˆ la forme V- rare-.

¤18 Si, ˆ prŽsent, on passe ˆ la forme du franais en tre + VpŽ, on rencontre des difficultŽs du mme ordre. Il est en effet bien connu que tre + VpŽ sert ˆ former non seulement la voix passive mais aussi le passŽ composŽ actif des verbes pronominaux (par ex. je mĠen suis aperu hier soir) et des verbes intransitifs perfectifs (par ex. elle est sortie hier soir). [É]. CĠest en fonction des dŽterminations quĠapportent le type des verbes avec lesquels elle sĠemploie et la configuration discursive o elle appara”t, que sĠopre la sŽlection de lĠune ou lĠautre valeur.

¤19 On voit par lˆ combien il est malaisŽ de dissocier les diverses interprŽtations respectivement attachŽes aux formes V (r)are et tre + VpŽ, et, du mme coup, ce quĠil y a dĠarbitraire dans la comparaison dĠune valeur isolŽe de chaque forme.

¤20 Le second groupe de divergences se situe au niveau des notions mmes de rŽceptif et de passif. [É] Et, comble dĠironie, les propriŽtŽs fondamentales du rŽceptif indirect vont ˆ lĠencontre de la dŽfinition mme du passif, comme nous nous proposons de le montrer ˆ travers un exemple.

¤21 ConsidŽrons donc les deux ŽnoncŽs suivants :

6) akachan ga naita

[É]

le bŽbŽ a pleurŽ

6Ġ) haha wa akachan ni nakareta

[É]

ma mre a ŽtŽ importunŽe par les pleurs du bŽbŽ

¤22 Premier trait caractŽristique : la forme en V-rare- prŽsente un ŽvŽnement conjointement ˆ lĠaffect dŽplaisant quĠen ressent quelquĠun. Il se diffŽrencie par lˆ du rŽceptif direct comme du passif franais, tous deux neutres vis ˆ vis du caractre bŽnŽfique ou malŽfique de la relation que subit le patient.

¤23 Second trait caractŽristique : lĠadjonction, en position de sujet ou de thme dĠun GN supplŽmentaire, ici haha (maman). Ce GNÉ[É] Le passif, au contraire, permet la rŽduction dĠun GN en rendant facultative la mention dĠun des protagonistes directement impliquŽ dans le procs, ˆ savoir lĠagent.

¤24 Troisime trait caractŽristique : le rŽceptif indirect en V-are- peut se rencontrer aussi bien avec des verbes intransitifs comme naku (pleurer) quĠavec des verbes transitifs, accompagnŽs dĠun complŽment dĠobjet en wo (ou ni), comme le montrent les exemples ci-dessous :

7) suri ga haha no saifž wo sutta

[É]

un pickpocket a subtilisŽ le porte-monnaie de ma mre

 

7Ġ) haha wa suri ni saifž wo surareta

[É]

ma mre sĠest fait subtiliser son porte-monnaie par un pickpocket

¤25 De telles constructions sont proscrites par la dŽfinition mme de la phrase passive. Celle-ci exige en effet un verbe transitif et ne tolre pas la prŽsence dĠun COD, dans la mesure o elle se caractŽrise prŽcisŽment par la promotion du COD du verbe actif au rang de sujet du verbe passif.

¤26 Cette description, pour sommaire quĠelle soit, montre que le rŽceptif indirect ou adversatif transgresse les trois principales clauses qui servent ˆ dŽfinir le passif franais, et le rŽceptif direct japonais : la transitivitŽ, le passage de lĠobjet direct ˆ la position de sujet, le recul de lĠagent au rang de complŽment facultatif.

¤27 La comparaison du rŽceptif japonais et du passif franais conduit donc ˆ une double conclusion. Il appara”t clairement dĠune part quĠil existe une Žquivalence partielle et non globale entre les emplois et le sens des formes V-rare- et tre V-pŽ ; et dĠautre part que lĠunitŽ interne de la catŽgorie japonaise de rŽceptif est menacŽe par le trop grand antagonisme qui oppose ses deux types constitutifs, rŽceptif direct et indirect. Tels nous semblent tre les facteurs, ˆ la fois internes et externes, qui ont contribuŽ ˆ dans un premier temps ˆ dŽstabiliser la notion de rŽceptif, puis, dans un second temps ˆ Žlaborer une nouvelle catŽgorie dĠukemi-passif, suivant un processus complexe de mŽtissage sŽmantico-syntaxique, dont nous essaierons, pour terminer, dĠesquisser les grandes Žtapes.

 

III. Formation de la catŽgorie mŽtisse du rŽceptif-passif

III. 1 Amalgame des notions de transitif/intransitif et de ji/ta

¤28 Pour les grammairiens occidentaux, le passif est Žtroitement liŽ ˆ la notion de transitif. En franais, par exemple, il est gŽnŽralement admis que la passivation est liŽe au statut ÒtransitifÓ du verbe. Or les notions de transitif/intransitif sont Žtrangres ˆ la tradition grammaticale dĠorigine japonaise. Quand donc, ˆ la fin du 19e sicle, les grammairiens japonais ont introduit le couple terminologique transitif / intransitif , ils lĠont rapprochŽ dĠune dichotomie qui leur Žtait plus familire: celle entre ji (, soi) et ta (, autre). Ils ont ainsi forgŽ deux composŽs nŽologiques, ji-d™shi et ta-d™shi en spŽcifiant la notion de verbe (d™shi) au moyen de la paire antonymique : ji/ta. Et ces termes sont devenus aujourd'hui, en tant que mots de traduction, les Žquivalents stŽrŽotypŽs de verbe transitif / intransitif.

¤29 Mais la confusion a commencŽ quand, paralllement, OOTSUKI Fumihiko (1847-1928) a appliquŽ cette classification aux verbes japonais. A cet effet, il a traitŽ les particules postnominales ga et o comme les indices respectifs des fonctions de sujet et d'objet direct. Il a pu de la sorte distinguer deux types de construction: l'une, caractŽristique des verbes transitifs ou tad™shi, repose sur le schŽma structurel: GN1+ga, GN2+wo, V, (cf. ex. 1: oikakeru, poursuivre): l'autre, propre aux verbes intransitifs ou jid™shi repose sur le schŽma GN1+ga, V, (cf. ex.6: naku, pleurer). Par ailleurs, OOTSUKI associe ˆ cette dŽfinition syntaxique de la transitivitŽ, transposŽe des grammaires occidentales, une interprŽtation sŽmantique, issue, elle, du schme classificatoire japonais en ji / ta. Ce qui l'amne ˆ poser que "les verbes transitifs dŽnotent une action qui influe sur un objet ou Žtat de choses externe" tandis que "les verbes intransitifs dŽsignent une action qui se produit de son propre mouvement et pour elle-mme" (K™-nihon-bunten (1897)).

¤30 Or comme Yamada Yoshio (1873-1958) n'a pas tardŽ ˆ le remarquer, une telle opposition entre transitif et intransitif ne rŽsiste gure ˆ l'Žpreuve des faits o elle rencontre trois obstacles majeurs. Le premier est que la passivation des verbes n'est pas concernŽe par l'opposition entre transitif / intransitif. Le second est que la prŽsence d'un GN+wo n'est pas le signe automatique d'une construction intransitive, indiquant la visŽe d'un objet-cible, mais peut marquer la simple spŽcification du procs, comme c'est souvent le cas avec les verbes intransitifs de dŽplacement (cf. gakk™ wo deru; sortir de l'Žcole). Car les particules postnominales ga, wo, ni consignent moins une relation sŽmantique prŽcise qu'un rapport de dŽtermination entre un groupe nominal et un verbe. Le troisime est qu'il n'y a pas toujours une correspondance rŽgulire entre construction et signification transitive ou intransitive. Au terme de cet examen critique, Yamada proscrit donc l'usage des notions de transitif /intransitif qui ne lui semblent pas des outils adŽquats pour dŽcrire le systme verbal japonais.

¤31 Pour d'autres linguistes cependant, il existe bien en japonais deux types de verbes, qu'ils continuent d'appeler jid™shi et tad™shi mais qu'ils redŽfinissent sur des bases morpho-syntaxiques et sŽmantiques  plus solides. Quels rapports entretient cette nouvelle dichotomie, largement admise aujourd'hui, avec les notions de rŽceptif et passif? C'est le dernier point qu'il nous reste ˆ examiner ici.

 

III.2. La catŽgorisation ji/ta et le rŽceptif-passif

¤32 LĠopposition des verbes de type ji (ou endogne) et de type ta (ou exogne) courante de nos jours dans les dictionnaires et les grammaires du japonais, repose sur un ensemble de propriŽtŽs morphologiques, syntaxiques et sŽmantiques, dont nous essaierons de voir les points dĠintersection avec certains traits dŽfinitoires du rŽceptif et du passif.

¤33 Deux caractŽristiques morphologiques retiendront tout dĠabord notre attention. La premire est que lĠopposition ji/ta É. [É]. Aussi les considre-t-on comme des formants radicaux, portant sur la notion lexicale, et non comme des suffixes fonctionnels, ˆ portŽe propositionnelle, relevant du systme de la conjugaison.

¤34 La seconde est la coexistence de trois patrons de dŽrivation morphologique. Soit les paires de verbes ji/ta sĠopposent par une variation vocalique de leur dernire syllabe radicale, par exemple de la racine kim- (dŽcider) on dŽrive un verbe ji / endogne kimA-ru (qqch. est dŽcidŽ) et un verbe ta /exogne kimE-ru (dŽcider qqch.). Soit ils sĠopposent par une alternance r/s de la consonne initiale du suffixe : par exemple, de la racine noko- (laisser) on dŽrive un verbe ji noko-Ru (qqch. reste) et un verbe ta noko-Su (laisser qqch.). Soit, par les deux procŽdŽs ˆ la fois : par exemple, de la racine ni- (fuir) on dŽrive un verbe ji nigE-Ru (sĠenfuir) et un verbe ta nigA-Su (rel‰cher).

¤35 Ces quelques indications 3 mettent en Žvidence un certain parallŽlisme morphologique entre le suffixe de dŽrivŽs endognes (ji) ˆ initiale /R/ et et celui du rŽceptif – (R)aRe- dĠun c™tŽ et le suffixe des dŽrivŽs exognes (ta) ˆ initiale /S/ et celui de factitif –(S)aSe- de lĠautre. [É] DĠun point de vue contrastif enfin, il est aisŽ de voir que les verbes transitifs/intransitifs du franais ne partagent aucune des caractŽristiques morphologiques des verbes japonais ji/ta : ni ils ne constituent  des paires lexicales (dont on trouverait plut™t un Žquivalent dans le couplage dĠun verbe simple au pronominal correspondant), tout verbe Žtant par dŽfinition transitif ou intransitif, ou plus rarement neutre ; ni il nĠexiste une quelconque analogie entre les formes de transitif/intransitif et de factitif/passif.

¤36 La diffŽrenciation entre les verbes endognes (ji) et exognes (ta) sĠappuie Žgalement sur des propriŽtŽs syntaxiques spŽcifiques.[É]Si, par exemple, lĠemploi dĠun verbe de type ji rend agrammaticales les tournures 8), 9), proposŽes patr Hayatsu Emiko (1987 : 90-91), il suffit de recourir au verbe appariŽ de type ta pour obtenir les ŽnoncŽs bien formŽs 8Ġ) et 9Ġ) :

*8) kimari-nasai

[É]

 8Ġ) kime-nasai

[É]

dŽcide

*9) kimatte miru

[É]

9Ġ) kimete miru

[É]

dŽcidons voir

¤37 DĠautre part, les verbes ji et ta sont liŽs ˆ des structures syntaxiques diffŽrentes. Sans entrer dans le dŽtail, nous nous bornerons ici ˆ dŽgager le schŽma standard associŽ ˆ chaque type de verbe. Soit, un schŽma de prŽdicat verbal unaire ˆ une place dĠargument nominal, de forme GN+ga, pour les les verbes endognes (ji) ; et un schŽma de prŽdicat verbal binaire ˆ deux places dĠarguments nominaux ordonnŽs, de forme GN+ga et GN+wo pour les verbes exognes (ta). Selon ce double patron, on aura, par exemple, les ŽnoncŽs suivants avec la paire de verbes kimaru (ji)  et kimeru (ta) ;

10) shiken no hi ga kimatta

[É]

la date de lĠexamen est fixŽe

10Ġ) sensei ga shiken no hi wo kimeta

[É]

le professeur a fixŽ la date de lĠexamen

¤38 Par ailleurs, il est dĠusage de corrŽler ces propriŽtŽs syntaxiques ˆ des propriŽtŽs sŽmantiques rŽgulires. [É] Mais les verbes ji autonomesɎchappent ˆ ces restrictions.

¤39 Quant aux structures syntaxiques de base, on leur reconna”t, en rgle gŽnŽrale, les interprŽtations sŽmantiques suivantes. [É] DĠo il ressort que : 1) la particule postnominale ga est compatible avec des GN jouant des r™les sŽmantiques diffŽrentsÉ 2) que le GN + woÉ correspondÉ

¤40 Si lĠon compare les structures syntaxiques typiques des verbes japonais ji/ta ˆ celle des verbes transitifs/intransitifs des langues occidentales, on comprend sans peine quĠon ait É[É] CependantÉ. CarÉ. Sans douteÉ. Or, en franais, cette diffŽrence de r™le sŽmantique nĠintervient pas dans la dŽfinition de lĠintransitivitŽ, mme si elle est aujourdĠhui reconnue, ˆ travers les travaux de Perlmutter (1983) ou Burzio (1986).

¤41 En assimilant  la distinction entre verbe ji et ta ˆ celle entre verbes transitifs et intransitifs, on est donc amenŽ ˆ mŽconna”tre la spŽcificitŽ des notions japonaises et ˆ conclure, de manire paradoxale, que le passif franais est liŽ ˆ la transitivitŽ et le passif japonais ˆ lĠintransitivitŽ. Or, É Deux exemples suffiront ˆ le montrer.

¤42 Nous retiendrons tout dĠabord la solution prŽsentŽe par Mikami Akira (1972 : 99-112). [É] Et la troisime, consŽquence des deux prŽcŽdentes, est que la problŽmatique de la voix, importŽe de la tradition occidentale, gagne ˆ tre repensŽe ˆ la lumire de lĠancienne dichotomie autochtone ji/ta, dĠaprs lĠusage systŽmatique quĠen ont fait notamment Motoori Haruniwa (1828) et, ˆ sa suite, les philologues de lĠŽpoque Edo.

¤43 Une autre solution, qui tend ˆ se gŽnŽraliser aujourdĠhuiÉ, est celle quĠexpose en dŽtail Teramura Hideo (1982 :205-322). [É]. Relvent du niveau grammatical les diffŽrents suffixes auxiliaires verbaux, tels –(r)are-, dont la portŽe propositionnelle se manifeste par la configuration syntaxique et sŽmantique des arguments ou encore par des procŽdures dĠench‰ssement ou dĠencha”nement de deux propositions. Ainsi, sans tenir compte de la dimension suffixale ou phrastique de la passivation, distinguera-t-on un passif adversatif en –(r)are- et un passif bŽnŽfactif en V1-te+ morau.Par exemple, Masuoka Takashi (1991 :112-5) oppose :

8) Hanako wa sensei ni shikarareta

[É]

Hanako sĠest fait gronder par sa ma”tresse

9) Tar™ wa sensei ni homete moratta

[É]

Tar™ a reu (avec joie) les fŽlicitations de son ma”tre

¤44 Dans cette optique, le parallŽlisme et les divergences entre les expressions de la diathse sont imputŽs ˆ leur seul niveau de construction, lexical ou grammatical. Et comme ces deux types de formation passive coexistent dans de nombreuses languesÉla dŽfinition de la phrase passive comme le renversement de dĠune phrase active perd son monopole et devient une variŽtŽ dĠexpression de la diathse, intŽgrable dans une conception plus ouverte de la passivation, dont Roggero (1984) montre bien lĠintŽrt pour le franais, Lazard et les auteurs des cahiers Actances 1-4 (1985-89) pour la comparaison des langues, et DesclŽs (1990), pour une reprŽsentation  typologique formelle.

 

Conclusion

¤ 45 Au terme de ce pŽriple, il appara”t clairement que la notion occidentale de passif est aujourdĠhui ÒnaturalisŽeÓ au Japon. Mais en se greffant sur la notion autochtone de rŽceptif, elle a donnŽ naissance ˆ une nouvelle catŽgorie grammaticale mŽtisse, lĠukemi-passif 4.

(EHESS, Paris)

RŽfŽrences bibliographiques des documents citŽs

 

 

 

 

 

[18 ref 17 auteurs]

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[Notes]

[4 notes]